Objets éclairés
- Sophie Launay
- 29 déc. 2020
- 3 min de lecture
Cet été, une grande poubelle, aux armes de la mairie de Marathon se baladait, de coin en coin et d’un bout à l’autre de la rue Périkleous à Mati.
Poussée par des mains aussi perfides que furtives, elle roulait sur ses pieds mobiles sa bosse noire plastique.
Elle apparaissait 50 mètres plus loin qu’à l’accoutumée ou disparaissait plusieurs jours sans laisser d’adresse.

C’est que cette poubelle municipale fut affectée à Mati, l’estropiée, qui rassemble comme elle peut les détritus qu’on lui jette au nez.
Sur une rue longue de 300 mètres environ, trois poubelles pour 30 maisons.
Ce n’est pas gourmand, pourtant.
Mais voilà que les Athéniens s’en viennent visiter ce qui reste du visage affligé de Mati.
Et de s’insurger ! Que fait cette poubelle devant ma demeure, certes bien amochée mais enfin qui n’en reste pas moins ma propriété ?
Quel spectacle désolant pour l’aire de jeux des enfants de côtoyer une poubelle de municipalité ?
Il faut sur le champ remettre de l’ordre dans tout cela, je m’en occupe immédiatement.
La poubelle, traînée 50 mètres plus loin, trouve alors place sur le terre-plein en friche où les herbes folles asphyxient quelques rosiers rachitiques.
Autres exclamations ! Quelle honte ! Qui a bien pu ? Qui a osé ? Cette poubelle est une insulte à cette ébauche de rond-point qui devrait être fleuri. Si déjà y gît une poubelle, comment remettre de l’ordre dans tout cela.
Le lendemain, plus de poubelle. En la cherchant, on s’aperçoit qu’elle s’est rangée plus bas à l’angle d’une petite rue. Elle s’est faite discrète, face à des maisons brûlées et devant un terrain aux herbes hautes, jaunes et sèches.
Elle se croyait planquée.
Elle fut démasquée …
Puisque par enchantement, un beau matin, elle disparut corps et biens.
Dans le voisinage, on chuchote, on ricane et chacun de transporter sur plusieurs centaines de mètres ses ordures en paquet.
La municipalité interpellée ne sait plus qui écouter.
L’autochtone, résident à l’année, qui se plaint des détritus qui jonchent les bas-côtés, du non ramassage des ordures que la disparition d’une poubelle vient accentuer ou les Athéniens en villégiature venus profiter d’un peu de paix … sans encombrants s’il vous plaît ?
La mairie n’a finalement pas pris position laissant la poubelle là où on peut la trouver au grè de ses mouvements.

Cet hiver, les ampoules de l’éclairage municipal claquent les unes derrière les autres et plongent les ruelles, dans le noir, à la nuit tombée.
Dernièrement des sacs en plastiques à l’effigie des supermarchés ont été accrochés, ou plutôt ficelés autour des grands poteaux électriques le long des rues. Les poteaux décorés prennent des airs de grands mâts égayés de bleu, jaune, rose, orange ou vert.
Chacun regarde avec intérêt et perplexité cette installation en cherchant un sens à ces sacs en plastique ficelés.
Trois femmes d’âge mur, réunies sur la chaussée, trois voisines débattent à distance, Covid oblige. Elles annoncent avec enthousiasme que la municipalité va remplacer prochainement les lampes défaillantes.
Le sac saucissonné servira probablement à recevoir l’ampoule trépassée.
C’est une explication, somme toute assez fantaisiste de la gestion de l’éclairage municipal mais qui peut avoir une logique.
Il y aura donc trois phases espacées dans le temps :
Première phase : repérage des ampoules à changer et installation des sacs de couleur sur les grands poteaux puis dépose de l’ampoule électrique dans le sac en plastique prévu à cet effet et enfin remplacement de l’ampoule.

Apparaît un matin, un camion élévateur dans une rue adjacente et oh miracle un homme change des ampoules. En promenade, je l’interroge. « Peut-il noter que dans notre rue, la rue Périkleous, la plupart des ampoules ont grillé ?
« Ah non ! » me répond-il, « il faut appeler la mairie, le service compétent qui prendra note et agira en conséquence. »
« Allô, bonjour ! »
« Bonjour, joyeuses fêtes ! »
« Merci ! À vous aussi. Je voudrais vous signaler que plusieurs ampoules ont claqué dans la rue Périkleous à Mati pour que vous puissiez intervenir. »
« Écoutez pour que nous puissions intervenir, il faut mettre un sac en plastique autour de la colonne. »
« C’est à moi de le faire ? »
« Oui bien sûr. C’est logique vous ne trouvez pas ? »
« Heu … non, je crois que c’est la municipalité qui doit s’occuper de tout cela mais bref nous le ferons. »
« Oui très bien alors joyeuses fêtes ! »
« Et vous viendrez quand ? »
Elle a raccroché …

Entre temps, le vent s’est levé et de nombreux sacs se sont envolés.
Heureusement les décorations de Noël sur les façades des quelques maisons habitées se chargeront d’illuminer la chaussée.
J'ai beaucoup apprécié la légèreté du ton et surtout le côté saugrenu de ces 2 "nouvelles",
ce quotidien qui nous est si familier et inconnu quelque soit l'endroit où on habite,
on se croirait dans toy story, tant ces objets sont vivants !
Bonjour. Merci pour ce petit morceau de vie grecque où le réalisme, comme dans tous vos articles, n'est jamais dépourvu de poésie.